Dimanche 2 mai

Culte du dimanche 2 mai 2021




Par Judith van Vooren



Lecture


Jean 15,1-11



Prédication


Vincent van Gogh était peintre mais il aurait voulu étudier la théologie et devenir pasteur pour être proche des pauvres gens. En cela, il aurait suivi les pas de son père et de son grand-père, tous deux pasteurs aux Pays-Bas. Sa vocation survient lorsqu’il part pour l’Angleterre où il sera enseignant et travaillera  comme assistant paroissial à Isleworth. Il aurait voulu servir comme évangéliste ou comme pasteur auprès des mineurs en Angleterre  mais sa demande est refusée.  Il rentre alors aux Pays-Bas et entame des études préparatoires pour accéder aux études de théologie à Amsterdam, ce qui n'aboutira pas non plus. C’est alors que commence son parcours belge. En effet, en 1878, Vincent part à Bruxelles pour y suivre la formation proposée par l’École de formation aux jeunes flamands pour l’évangélisation, organisée par l’œuvre missionnaire SILO.  (‘Opleidingsschool voor Vlaamsche jongelingen voor den Evangelie-arbeid’). Mais là, Vincent essuie un nouvel échec ; il ne restera que trois mois à Bruxelles et ne terminera pas sa formation ce qui ne l’empêche pas de se tourner vers le petit village borin de Wasmes où il entame sa carrière de prédicateur laïque. Il y partage la vie et la misère des mineurs, mais ne répond pas aux attentes de sa communauté ; il sera démis de ses fonctions après à peine six mois de ministère.

C’est alors qu’il se consacre définitivement à la peinture, autre manière de servir Dieu et de suivre le Christ que Vincent van Gogh considère comme artiste ultime. Il en parle dans une lettre à son ami Émile Bernard (1868-1941), écrivain et peintre lui aussi. Vincent écrit : « Il n'y a que ce noyau le Christ qui, au point de vue de l'art, me semble supérieur, dans tous les cas, autre chose que l'antiquité grecque, indienne, égyptienne, persane, lesquelles ont été si loin. Or, je le répète, ce Christ est plus artiste que les artistes, il travaille en esprit et chair vivants, il fait des hommes au lieu de statues.» 1

 

Le groupe de travail bilingue "Église contemporaine" de notre église nationale, a édité son rapport sous forme de présentation Powerpoint 2, abondamment illustré par les œuvres picturales  de van Gogh et reprenant  plusieurs citations du peintre. Ainsi, on trouve, à la fin du document, un extrait de lettre, adressée à son frère Théo.  « Il est bien d’aimer autant qu’on peut car c’est là qu’est la vraie force et celui qui aime beaucoup fait beaucoup et peut beaucoup et ce qui se fait dans l’amour se fait bien »

Le groupe de travail ne justifie pas ce choix  mais en parcourant le rapport, je comprends  pourquoi il termine par cette citation qui rappelle la place centrale de l’amour dans toute œuvre humaine.

 

En fait, le groupe "Église contemporaine" tente de formuler des réponses modernes à des questions anciennes en somme, telles que:

  • Comment être Église ?
  • Comment être au service des plus démunis, des plus fragilisés ?
  • Comment apporter un soutien aux hommes et aux femmes à la recherche de sens dans un monde à la dérive ?


Le groupe s’intéresse à ces vieilles questions à partir d’un constat propre à notre temps et à la partie occidentale du monde, le fait que l’Église s’est déplacée du centre vers les marges avec, pour bon nombre d’entre elles, une diminution importante du nombre de membres et sympathisants.


Alors, un foisonnement d’idées invite à repenser l’Église de demain par trois entrées principales : 

  • Collaborer,
  • dynamiser
  • et créer de nouvelles fonctions pour pasteurs.


Collaborer car travailler ensemble renforce l’unité, la vitalité et la créativité des différentes églises, ce qui donne à chacune d’elles de réelles chances de pérennité.

Mais aussi, collaborer parce que cela fait du bien, parce qu’il y a plus dans plusieurs têtes que dans une seule. Et parce que collaborer, si l’on s’y prend bien, libère de l’énergie positive.


La dynamisation, quant  à elle, a comme but de réveiller ce qui dort ou ce qui est affaibli dans notre vie d’Église. Cette dynamisation passe par un renforcement des liens et des relations et par un approfondissement de notre foi personnelle, tout en explorant de nouvelles façons d’être présents au monde.


On pourrait repenser les fonctions pastorales. Pourquoi pas  engager un pasteur de rue, un pasteur qui axe son travail sur le diaconat, le travail avec les migrants, les jeunes, les étudiants ?


Le document n’oublie pas non plus les médias modernes que nous sommes nombreux à avoir découvert grâce à la crise du Covid. Là encore, le groupe invite à explorer tous les possibles.  Ajoutez à cela des idées pour former des églises de maison et vous aurez compris que ce groupe de travail invite les communautés de l’EPUB à se préparer pour l’avenir.

 

Si je devais résumer le rapport en un seul mot, je choisirais le mot LIEN. Lien entre différentes communautés, lien entre les membres de chaque communauté, lien des communautés avec le monde dans lequel elles évoluent, mais aussi, lien de chaque membre au Christ.

Et quand je dis LIEN, je pense AMOUR. Car seul l’amour est capable de nous décentrer de nous-même, et de porter notre regard vers l’autre, et même, de nous rattacher à lui. C’est pour cela sans doute que le rapport aboutit sur cette citation de Van Gogh, comme si elle résumait tout : « Il est bien d’aimer autant qu’on peut car c’est là qu’est la vraie force et celui qui aime beaucoup fait beaucoup et peut beaucoup et ce qui se fait dans l’amour se fait bien ».

 

Amour qui crée des liens, voilà qui devrait pouvoir redynamiser l’Église. Lien et amour, sont également les mots-clés du texte de ce matin, en  Jean 15, que je résume ainsi :


Je suis la vraie vigne et mon Père est le vigneron.

Demeurez en moi comme je demeure en vous ! De même que le sarment, s'il ne demeure sur la vigne, ne peut de lui-même porter du fruit, ainsi vous non plus si vous ne demeurez en moi.

Je suis la vigne, vous êtes les sarments : celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là portera du fruit en abondance car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire.

Comme le Père m'a aimé, moi aussi je vous ai aimés ; demeurez dans mon amour.

 

Jean désigne le lien par le verbe ‘demeurer’ et par une double image : Je suis la vraie vigne et mon Père est le vigneron. / Je suis la vigne, vous êtes les sarments.


L’amour est à la fois origine et fruit de ce lien, celui qui demeure dans l’amour du Christ, demeure à son tour dans l’amour du Père, cet homme-là, cette femme-là, cette église-là, demeurent forcément dans l’amour.

Il s’agit d’un amour concret, tangible et non d’un vague sentiment. Si vous observez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, comme, en observant les commandements de mon Père, je demeure dans son amour. Le commandement d'amour peut sembler bizarre. L’amour ne se laisse pas forcer, a-t-on spontanément tendance à dire, ce qui serait juste si l’amour n’était que sentiment, élan du cœur. Mais il faut entendre les choses autrement  et inverser la logique : Jésus ne me commande pas d’aimer, il dit par contre que  l’amour me commande, nous commande, l’amour nous incite à réagir, l’amour est un appel qu’on ne peut négliger, l’amour nous rend présents l’autre, l’amour m’empêche  tout simplement de détourner le regard devant le mal et le malheur ; seul l’amour peut cela. Seul l’amour a cette force irrésistible pour briser les murs de séparation, de la haine, de l’indifférence ou de l’incompréhension.

Et l’Église vit de cet amour et grandira de cet amour. Vincent van Gogh avait compris cela. Il ne pouvait s’imaginer le ministère autrement qu’en mettant ses mains dans le cambouis, à côté des pauvres mineurs  d’Angleterre et du Borinage. L’Église, quant à elle, n’a rien eu affaire de cette bonne volonté, de cet engagement total et atypique. On connaît bien la fragilité mentale de Vincent van Gogh. Peut-être l’a-t-on estimé inapte au  ministère pastoral ?  Quoiqu’il en soit, sa force d’aimer, sa force créatrice s’est finalement tournée vers la peinture, cette autre manière d’aimer Dieu et son prochain. Peut-être là, l’Église a-t-elle raté quelque chose ?

Ne pouvait-elle vraiment pas accueillir  cet homme en son sein et mettre à profit son enthousiasme déroutant ?

Je ne fais pas parti du groupe de travail, mais j'imagine que les membres du groupe ont eu à cœur d’inciter les communautés de notre EPUB à investiguer de nouveaux chemins, penser l’Église autrement, penser l’Église aussi large que possible, afin de saisir chaque occasion qui se présente à elle pour être pertinente, pour faire la différence dans ce monde où le désarroi est criant , où le désespoir gagne les âmes, et où le manque de sens menace la joie de vivre.

 

Je vous ai déjà proposé deux citations de Vincent van Gogh, en voici une troisième. Elle se trouve au début du rapport et invite à sortir du cadre habituel, à oser imaginer l’Église à neuf, ou, selon cette parole d’Évangile, jetez le filet à droite de la barque. Voici donc ce qu’écrit encore Vincent van Gogh « N’éteignez pas votre inspiration ni votre imagination, ne devenez pas esclave du modèle ».

 

Chers amis, si nous demeurons en Christ, l’amour nous habite et cet amour nous poussera hors nos murs, hors des sentiers battus. Cet amour nous inspirera des gestes insensés,  des idées créatrices, et produira beaucoup de fruits, petits ou grands, des fruits qui demeurent, car en lien avec le Christ, en lien avec Dieu, source du vivant.

 

Chers frères et sœurs, je ne sais pas de quoi demain sera fait ; je ne connais pas l’avenir de notre Église. La crise du Covid a mis notre fonctionnement  à rude épreuve; pendant pratiquement un an, nos activités ont été mises en veille et nous avons dû trouver d’autres moyens pour garder le lien.  En cela, cette crise a aussi eu du bon. Pendant une période significative, nous n’avons pas pu nous appuyer sur nos habitudes, et nous voyons que nous sommes toujours là, bien vivants. C’est encourageant tout cela. Cette crise nous permet également de poser les questions de fond: pour quoi sommes-nous là ? Pour qui sommes-nous là ? Quel message avons-nous le privilège de porter autour de nous ? Et par quels moyens ?

 

Dans les semaines et les mois à venir nous aurons le temps d’approfondir ces questions. Le dimanche 30 mai, nous organiserons à nouveau une balade méditative (balade Emmaüs). Je vous proposerai une feuille de route qui permettra d’aborder les questions soulevées ce matin.

Nous ne savons pas de quoi demain sera fait, mais je suis confiante car je crois que la crise n’a pas porté atteinte à l’essentiel : le lien d’amour qui nous unit au Christ. 



Amen        



1.  Verzamelde brieven, IV, page 213

 

2.  Cliquez ici pour accéder au rapport "Une image d'une Eglise qui construit son avenir"