Double conversion

Double conversion


Par Judith van Vooren



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Jésus marchait sur les routes de Galilée,

Il proclamait l’Évangile et disait :

Le temps est accompli,

le règne de Dieu s’est approché.

Convertissez-vous,         

et croyez la Bonne Nouvelle. (Marc 1, 15) 

 

Notre temps est parfois pesant, triste ou lourd.

Il y a des jours sans aucune joie ni passion

et d’autres où l’on est déchiré par la haine

paralysé par la peur

ou engourdi par l’ennui.

 

Aujourd’hui la Parole retentit :

Le temps est accompli,

le règne de Dieu s’est approché.

 

………………………………………...............

 

Ton Royaume s’approche

Et c’est comme s’il me tendait la main

Il me dit : « aujourd’hui »

là où tant d’autres me disent « demain »

Il s’approche là où je suis, comme une visitation

que je sois prête ou non

 

Ton Royaume s’approche

Je le dis chaque fois que je prononce ton nom

Je le crie aux montagnes qui le savaient déjà

Je le dis à mes frères en disant : « Ne crains pas »

 

Ton Royaume s’approche

Et il n’a pas besoin que je le précipite,

il connaît son temps et il connaît le mien.

Il a seulement besoin que je le laisse venir

en entrant dans la ronde des enfants de ta Paix. 

                                                          

(Marion Muller-Colard, Éclats d’Évangile , p. 145)



Jonas 3

 

1 La parole du SEIGNEUR s'adressa une seconde fois à Jonas : 2 « Lève-toi, va à Ninive la grande ville et profère contre elle l'oracle que je te communiquerai. » 3 Jonas se leva et partit, mais — cette fois — pour Ninive, se conformant à la parole du SEIGNEUR. Or Ninive était devenue une ville excessivement grande : on mettait trois jours pour la traverser. 4 Jonas avait à peine marché une journée en proférant cet oracle : « Encore quarante jours et Ninive sera mise sens dessus dessous », 5 que déjà ses habitants croyaient en Dieu. Ils proclamèrent un jeûne et se revêtirent de sacs, des grands jusqu'aux petits. 6 La nouvelle parvint au roi de Ninive. Il se leva de son trône, fit glisser sa robe royale, se couvrit d'un sac, s'assit sur de la cendre, 7 proclama l'état d'alerte et fit annoncer dans Ninive : « Par décret du roi et de son gouvernement, interdiction est faite aux hommes et aux bêtes, au gros et au petit bétail, de goûter à quoi que ce soit ; interdiction est faite de paître et interdiction est faite de boire de l'eau. 8 Hommes et bêtes se couvriront de sacs, et ils invoqueront Dieu avec force. Chacun se convertira de son mauvais chemin et de la violence qui reste attachée à ses mains. 9 Qui sait ! peut-être Dieu se ravisera-t-il, reviendra-t-il sur sa décision et retirera-t-il sa menace ; ainsi nous ne périrons pas. » 10 Dieu vit leur réaction : ils revenaient de leur mauvais chemin. Aussi revint-il sur sa décision de leur faire le mal qu'il avait annoncé. Il ne le fit pas.


Matthieu 13, 31-33


31 Il leur proposa une autre parabole : « Le Royaume des cieux est comparable à un grain de moutarde qu'un homme prend et sème dans son champ. 32 C'est bien la plus petite de toutes les semences ; mais, quand elle a poussé, elle est la plus grande des plantes potagères : elle devient un arbre, si bien que les oiseaux du ciel viennent faire leurs nids dans ses branches. » 33 Il leur dit une autre parabole : « Le Royaume des cieux est comparable à du levain qu'une femme prend et enfouit dans trois mesures de farine, si bien que toute la masse lève. »


Prédication


Tout bon prédicateur connaît le tourment qui précède la prédication du dimanche matin. Pendant des heures, des jours, il se penche sur les textes proposés ou choisis. D’abord pour le comprendre pour soi, y trouver les particularités, ce qui étonne ou ce qui dérange ; d’abord se demander : en quoi cette parole me concerne, me touche ? Ensuite entendre encore, afin d’y déceler un message pour notre monde et, finalement, trouver les mots justes, susceptibles d’atteindre, non seulement les oreilles mais encore le cœur de son auditoire.

Chaque prédicateur sait également que malgré ses efforts, très peu dépendra finalement de son travail et beaucoup de l’Esprit qui donnera ou non d’entendre la Parole et la fera résonner ou non pour chacun selon sa sensibilité, selon ses besoins, selon sa situation de vie.  A l’évidence, le prédicateur consciencieux n’y trouvera pas une invitation à bâcler son travail, tout au contraire. Il fera en sorte qu’au moins ses paroles facilitent et n’entravent pas le travail de l’Esprit. Eh bien, Jonas, chers amis, semble vraiment tout faire pour que la Parole ne passe pas, pour qu’elle rate sa cible et n’atteigne pas son auditoire. Et pourtant…

 

Rappelons brièvement le début de l’histoire. Jonas est appelé par Dieu pour crier une parole vers Ninive la grande ville. Elle est grande surtout par sa méchanceté nous dit le premier chapitre. Mais Jonas fait absolument tout pour esquiver sa mission. Il descend à Jaffa où il embarque sur un navire vers Tarsis. Alors un vent violent et un poisson géant, tous deux réquisitionnés par l’Éternel, l’expédient vers les profondeurs de la mort. Là, Jonas crie enfin, il prie l’Éternel qui ordonne au grand poisson de cracher Jonas sur la terre ferme. Ainsi, Jonas fait donc l‘expérience de la clémence et de la miséricorde divines qui sauvent.  Cela correspond, pourrait-on dire, à la phase d’appropriation de la Parole par le prédicateur. Une fois saisi la Parole de Dieu pour sà vie, Jonas pourra se tourner vers le monde pour y annoncer cette même parole pour les autres. Alors que va prêcher maintenant Jonas ? De quel Dieu sera-t-il le témoin ? Nous lisons qu’il doit crier vers Ninive la proclamation que lui communiquera l’Éternel. (3, 2) C’est aussi imprécis que vague puisque le texte n’explicite pas ce que doit proclamer Jonas.

 

Alors, comment il s’y prend, Jonas ? D’abord, on constate que lorsqu’il accepte finalement de se mettre en route vers Ninive, la ville n’est plus simplement ‘grande’ mais ‘excessivement grande’ selon la traduction de la TOB. Comme si, pendant l’absence de Jonas et peut-être à cause de son silence, la méchanceté a eu le temps de se décupler et de prendre des proportions énormes jusqu’à repousser les murs de la ville. Mais on pourra traduire aussi de manière plus littérale, avec la Nouvelle traduction de Bayard par exemple, la ‘grande ville pour Dieu’. On comprend alors que la ville, au fur et à mesure de son abandon par Jonas, prend plus d’importance encore aux yeux de Dieu.

Puis on voit que Jonas n’entre pas au cœur de la ville. Il fait à peine une journée de marche là où la ville en demande trois pour la traverser. Après ce moindre effort Jonas crie et c’est une prédication particulièrement brève qui ne laisse pourtant rien à l’imagination puisqu’elle rappelle l’histoire tristement célèbre de Sodome et Gomorrhe : encore quarante jours et Ninive sera mise sens dessus dessous. L’hébreu emploi ici le verbe (‘hapak’) tourner, retourner ou détruire qui est notamment utilisé pour décrire le triste sort de Sodome et Gomorrhe. Par ces quelques paroles Jonas nous conduit au centre du récit : le retournement ! Mais pas au sens où on l’entend.  

 

Car contre tout attente, en tout cas contre l’attente de Jonas, à peine a-t-il prononcé ces quelques mots que les habitants de la ville mettent leur confiance en Dieu, proclament un jeûne et, en signe de leur repentance, se couvrent de sacs, du plus grand jusqu’au plus petit. Le roi remplit mieux que Jonas le rôle de prédicateur en ce qu’il devient porte-parole de Dieu par son attitude, ses gestes et ses dires. Il laisse tomber sa robe royale pour se couvrir de sacs lui aussi ; il ordonne que même les bêtes doivent participer au jeûne et en appelle à une véritable conversion en se détournant de tout comportement méchant ‘raah’. Finalement, il motive ces ordonnances en introduisant une lueur d’espoir : Qui sait ! Peut-être Dieu se ravisera-t-il, peut-être se retournera-t-il ? 

 

On constate qu’une fois de plus, comme c’était le cas avec les marins, Jonas peut prendre exemple sur des citoyens païens qui ont un rapport d’immédiateté étonnant à la Parole de Dieu lorsqu’elle se manifeste.  En effet, les quelques mots que comptait la prédication de Jonas ont suffi pour susciter un renversement instantané et total : les Ninivites revenaient de leur chemin de mal ‘raah’ et à leur suite Dieu se convertit lui aussi : Dieu vit leurs actions et il revint sur la décision de faire le mal ; le ‘raah’, le mal, il ne le faisait pas ! Il faut souligner ici que le comportement des Ninivites ét l’intention de Dieu de détruire la ville sont tous deux qualifiés de ‘mal’ ‘raah’. Un mal dont les deux se sont également détournés. Une conversion à deux voix donc : les Ninivites se convertissent en écoutant les quelques paroles de Jonas, Dieu se convertit en remarquant les actions des Ninivites.

 

L’histoire est véritablement subversive, anti dogmatique, à contre-courant d’une théologie justicière qui voudrait que tout mal soit sévèrement puni. C’est d’autant plus vrai qu’en réalité la ville de Ninive fut bel et bien détruite vers l’an 612 par les Babyloniens conformément à la parole de cet autre prophète, Nahum.

 

A propos de Dieu Nahum écrit : Le SEIGNEUR est un Dieu jaloux et vengeur. Le SEIGNEUR est vengeur ; sa colère est terrible. Le SEIGNEUR se venge de ses adversaires ; il s'enflamme contre ses ennemis. Certes, le SEIGNEUR est lent à la colère et d'une grande puissance, mais le SEIGNEUR ne laisse rien passer. (1, 2-3)

Et voici en quels termes Nahum décrit la ville de Ninive : Malheur ! une ville sanguinaire, toute pleine de fraudes et d'escroqueries dont les rapines sont incessantes ! Claquement du fouet ! Fracas des roues ! Chevaux au galop ! Chars bondissants ! Charge de cavalerie ! Flamboiement des épées ! Éclairs des lances ! Victimes sans nombre ! Monceaux de corps ! Cadavres à l'infini ! - On bute sur les cadavres. A cause des multiples débauches de la prostituée, habile ensorceleuse, d'une grâce exquise, qui asservissait les nations par ses débauches, les peuplades par ses sortilèges, me voici contre toi--oracle du SEIGNEUR le tout-puissant ! Je retrousse ta jupe jusqu'à ta figure pour exhiber devant les nations ta nudité, devant les royaumes, ton infamie. Je te couvre d'ordures pour te flétrir et de toi, faire un exemple. Aussi, quiconque te voit s'enfuit en s’écriant : " Ninive est dévastée ! Qui aurait pour elle un geste de pitié ? " Pour toi, où chercherais-je des consolateurs ? (3, 1-7).

Peu de temps après, ces paroles se vérifient et Ninive fut donc effectivement détruite par les Babyloniens.

 

L’auteur de Jonas rédige son conte bien après ces faits, entre le cinquième et le troisième siècle quand Juda est intégré au grand empire perse qui succède à l’empire babylonien et dont il devient une province jusqu'en 332. Le règne du roi perse, Cyrus le grand, comme celui de Darius et d’autres rois perses, est marqué par une grande tolérance envers les peuples soumis. Cyrus permet notamment aux exilés juifs de rentrer chez eux et de reconstruire leur temple à Jérusalem si bien que le prophète Esaïe n’hésite pas à le qualifier de ‘messie’ (Es 45, 1). On peut penser que l’auteur du livre de Jonas ait pris ce grand roi tolérant comme modèle lorsqu’il met en scène le roi de Ninive qui à l’écoute de la parole de Jonas appelle ses sujets à la repentance et à la conversion.

En présentant les choses de cette manière, l’auteur force les vérités historiques pour raconter une véritable contre-histoire dont le message est celui de la capacité de l’homme ét de Dieu de se convertir et d’influencer positivement le cours de l’histoire. Un conte donc qui traduit le refus de tout déterminisme et fatalisme.  C’est le sens de cette petite phrase du roi de Ninive : Qui sait ? Il peut revenir, il peut regretter le dieu il peut revenir de sa colère et nous ne serons pas perdus…

On y entend comme l’écho de la parole que lance à Jonas le capitaine du navire :


Qu’as-tu l’endormi ?

Lève-toi

appelle vers ton dieu

Peut-être le dieu agira-til en notre faveur

et nous ne serons pas perdus ! (1,6 Nouvelle traduction – Bayard)


Malgré lui, Jonas, annonce la Bonne Nouvelle que dans toutes nos histoires il y a toujours un Qui sait, peut-être ? Espérance et espace de possibilités nouvelles, ouvertures inattendues, alors que tout semble dire le contraire. Un ‘peut-être’ qui sauve pour que nous ne serons pas ‘perdus’.

Mais ce ‘peut-être’ ne vient pas tout seul. Il intervient comme réponse à la Parole et il est le résultat d’une mise en mouvement, d’un engagement ferme et solidaire, d’une attitude nouvelle et des actions qui marquent le changement.

De l’autre côté, l’évangile de Matthieu avec les paraboles du grain de moutarde et du levain nous rappellent qu’il n’y a pas besoin de gros gestes ni de grandes actions. Elles disent la force irrésistible du royaume qui se fraie un chemin dans notre monde grâce au moindre geste et malgré une prédication défaillante. Dans ce processus, le temps est le complice de nos faibles moyens humains.  

 

Quarante jours, c’est le temps symbolique de tous les possibles. Comme le grain de moutarde qui a besoin de temps pour devenir la plus grande des plantes potagères et comme la levure qui fait lever la pâte au creux du temps qui passe, le temps nous est donné pour nous retourner, pour revenir, pour recommencer.  Et non, nous ne serons pas perdus parce que l’Un nous a déjà trouvés.


Amen